Maria Isabel Le Meur : « Nous sommes à un moment clé de l'histoire des refuges »

En ouverture du congrès de Pau, Maria Isabel Le Meur, la directrice adjointe responsable des hébergements et Jean Miczka, membre du comité directeur de la FFCAM, animeront une table ronde sur l'avenir des refuges. Quatre intervenants croiseront leur regard sur cette question capitale pour la fédération. Des échanges, qui nourriront les discussions lors des ateliers.

Maria Isabel Le Meur, directrice adjointe responsable des hébergements de la FFCAM. Maria Isabel Le Meur, directrice adjointe responsable des hébergements de la FFCAM.

Pourquoi s'interroger sur l'avenir des refuges ?

Maria Isabel Le Meur : L'objet refuge a subi des mutations majeures. Initialement abri de montagne, sa vocation était d'être une étape en vue d'une ascension ou d'une itinérance. Mais ce concept d'abri rudimentaire pour une nuit a progressivement glissé pour se rapprocher de celui d'un hébergement touristique. Avec le développement des pratiques de montagne, cette mutation s'est accélérée ces dernières années. La fréquentation a beaucoup évolué avec l'ouverture aux publics éloignés, aux scolaires, aux familles… ce qui est une très bonne chose, mais qui génère des contraintes nouvelles : évolution des attentes, gestion de l'eau, de l'énergie, des déchets, etc. Le développement de la pratique du ski de randonnée a quant à elle, généré des besoins spécifiques en termes de confort thermique ou d'accès à l'eau et à l'énergie. La professionnalisation du métier de gardien et le développement de la fréquentation à la journée ont également entrainé des besoins accrus dans les refuges. Aussi, des contraintes réglementaires sont venues complexifier l'exploitation des refuges : réglementations propres aux établissements recevant du public (ERP), prise en compte du risque incendie en site isolé, normes environnementales, etc. 
Enfin, les aléas climatiques d'intensité croissante (crues torrentielles, risques périglaciaires, éboulements) et leur plus grande prise en compte pèsent de plus en plus sur l'aménagement des refuges.

Un futur montagnard au refuge d'Arremoulit, dans les Pyrénées. © Ivan Olivier Photographies - FFCAM Un futur montagnard au refuge d'Arremoulit, dans les Pyrénées. © Ivan Olivier Photographies - FFCAM

Quelles conséquences cette évolution a-t-elle sur les refuges ?

M. I. L. M. : Elle génère de nombreuses attentes, qui remettent en question l'avenir des refuges. Car pour y répondre, les investissements nécessaires dépassent aujourd'hui les capacités de financement. Si nous ne nous recentrons pas sur la fonction première du refuge et leur mission d'intérêt général, le risque est de devoir faire des choix sur les bâtiments à préserver ou d'augmenter déraisonnablement le tarif des nuitées et de mettre à mal la mission de la FFCAM, qui est de développer les pratiques et de rendre la montagne accessible à tous. Ce qui est en jeu, c'est la transmission de ce patrimoine de 120 bâtiments aux générations futures. 

Les travaux en cours au refuge du Pavé, dans les Écrins. © Sarah Grangeon  - FFCAM Les travaux en cours au refuge du Pavé, dans les Écrins. © Sarah Grangeon - FFCAM

Au-delà du caractère informatif de cette table ronde, quel est son objectif ?
M. I. L. M.
: Ce congrès s'articule autour de l'idée de la transition, et les refuges vont justement jouer un rôle important dans cette transition, qu'elle soit touristique, environnementale, économique... Une grande partie des 23 ateliers du congrès est ainsi consacrée à la question des hébergements de la FFCAM. Cette table ronde a ainsi pour but de donner matière à réflexion et d'éclairer les échanges qui vont s'y dérouler. La question de l'avenir des refuges est abordée à travers différents prismes selon les ateliers: le modèle économique garantissant une accessibilité au plus grand nombre, leur gestion... Ce patrimoine est en effet à la charge d'équipes bénévoles et salariées, et ce modèle de gestion, spécifique à la FFCAM, est ébranlé par les évolutions des formes de bénévolat.
La notion de refuge au service du développement des territoires est aussi le thème d'un atelier, ainsi que celle des refuges non gardés : bien que ce type d'hébergement remplisse la fonction première du refuge, leur préservation est aujourd'hui incertaine.

Des alpinistes préparant leur matériel devant le refuge du Glacier Blanc, dans les Écrins. © FFCAM Des alpinistes préparant leur matériel devant le refuge du Glacier Blanc, dans les Écrins. © FFCAM

Pourquoi est-ce si important de conserver ce maillage de refuges ?

M. I. L. M. : Ce n'est pas que du bâti, même si certains refuges ont un caractère architectural remarquable, ces hébergements constituent aussi un patrimoine immatériel. Ce maillage permet de pratiquer la montagne, l'alpinisme, le ski de randonnée… Or un refuge qui disparait, pour des raisons économiques, climatiques ou encore administratives, n'a que très peu de chances d'accueillir à nouveau du public. Plus que des refuges, ces bâtiments sont une porte d'entrée vers la montagne. Le refuge de la Pilatte par exemple est fermé au public depuis deux ans, car le socle rocheux sur lequel il est construit se déstabilise avec le retrait du glacier. Depuis, la pratique de l'alpinisme sur le secteur a complétement changé : l'ascension des Bans ou du Gioberney sont désormais moins accessibles, le glacier ne sera plus le terrain de découverte de l'alpinisme qu'il était devenu auprès du jeune public avant sa fermeture.

Refuge de l'Olan. © FFCAM Refuge de l'Olan. © FFCAM

Quelles données pour illustrer les bouleversements en cours ?

M. I. L.M. : En termes de fréquentation, l'année 2023 s'annonce déjà historique. Avec près de 320 000 nuitées enregistrées, nous avons dépassé le record de l'année 2019, qui avoisinait les 295 000 nuitées. En 2020 et 2021, la crise sanitaire avait inévitablement impacté la fréquentation des refuges. Depuis les activités de montagne ont repris.
Ce niveau de fréquentation historique s'explique en partie par les conditions de pratique très bonnes cette année, en moyenne et haute montagne. Elles avaient été catastrophiques en haute montagne l'année dernière, de nombreux refuges avaient été impactés, notamment sur la voie du Mont Blanc et dans les Écrins. Au-delà du contexte favorable de cette saison, ce record témoigne surtout de l'engouement pour la montagne et les refuges. Ce chiffre, d'ailleurs, ne montre pas toutes les facettes de la fréquentation : il ne prend pas en compte les passages en journée et le bivouac, qui progressent énormément. Cette fréquentation, absente des tableurs, génèrent pourtant plus de restauration, de besoin en assainissement, en eau et en énergie… et contribue à mettre sous tension ces bâtiments.
En miroir des chiffres de la fréquentation, il faut apposer ceux du besoin d'investissement. Depuis plusieurs années, la fédération intensifie le rythme de rénovation de son parc de bâtiments. Cet été, nous avons inauguré les nouveaux refuges de la Pointe Percée (massif des Aravis), de Venasque (Luchonnais) et de Campana de Cloutou (Néouvielle). Nous avons lancé les travaux d'Arrémoulit et poursuivons les travaux du refuge du lac du Pavé… Cette intensification du programme de rénovation se traduit par des besoins d'investissements annuels proches de cinq millions d'euros. C'est beaucoup, mais encore en-dessous des six ou sept millions nécessaires à la préservation du parc de refuges, si nous tenons compte de toutes les contraintes que nous avons détaillées plus haut. À cela s'ajoute deux millions et demi d'euros pour l'entretien nécessaire au maintien en l'état. Parallèlement, les recettes s'élèvent à six millions d'euros par an… Il s'agit donc de développer les sources de financement, d'augmenter les recettes et le nombre de nuitées, quand cela est possible et quand cela ne met pas en tension les sites et les bâtiments.
Autant de questions à soulever lors de ce congrès à Pau !