Quand le Club alpin organisait les Jeux olympiques d'hiver
Samedi 16 mars 2024 se tenait à Chamonix une cérémonie pour fêter le centenaire des premiers Jeux olympiques d'hiver organisés dans cette bourgade de montagne en 1924. La FFCAM est conviée, en souvenir du rôle précurseur qu'a joué le Club alpin dans l'organisation de cet évènement et le développement du ski alpin.






L'histoire est une construction mouvante, se plonger dans ses méandres réserve parfois d'étonnantes découvertes : qui se souvient du rôle majeur pris par le Club alpin Français dans l'organisation des premiers JO d'hiver de 1924 à Chamonix ? Qui imagine sa contribution pour porter le ski à son plus haut niveau dès cette époque ? Tout un pan de l'histoire du Club Alpin, qui fête ses 150 ans cette année, s'imbrique dans celle des JO d'hiver. Ils propulseront le ski comme discipline sportive.
Pour le comprendre, il faut retrouver notre Henri Duhamel. Cet alpiniste français, éminent membre du Club alpin, n'a pas prêté son nom seulement sur des passages clés de l'ascension de la Meije, il en a aussi imprégné la section iséroise du Club alpin, qu'il a ouvert en 1874. En visite à l'Exposition universelle de Paris quatre ans plus tard (1878), il découvre sur un stand scandinave de « longues et étroites planches », et apprend qu'elles sont un moyen de locomotion traditionnel sur la neige en Europe du Nord. Jamais à court d'une petite envie d'explorer (qui est le propre des alpinistes à cette époque), il décide de les expérimenter pour parcourir la montagne en hiver.
Henri Duhamel, pionnier du ski






Bien que ses premiers essais soient laborieux, il les adopte et les fait découvrir aux alpinistes. En 1896 se fonde à Grenoble le premier club de ski, le ski club des Alpes, très attaché au Club alpin. Son initiative est reprise dans d'autres sites de montagne et d'autres clubs, comme dans le Jura, par Félix Peclet maire des Rousses et lui aussi, membre du Club alpin.
Les militaires, dans un contexte géopolitique qui se tend en ce début de siècle, s'intéressent aussi à cette nouvelle pratique. « L'avantage des skis (…) parait évident pour manœuvrer en montagne, car ils s'apparentent à une sorte de bicyclette des neiges ; (…) le ski s'impose (…) pour la défense de nos frontières les plus escarpées », apprend-on dans l'Histoire des sports, un ouvrage de recherche écrit sous la direction de l'universitaire Thierry Terret. Les premiers bataillons se forment, en Italie, en Autriche et en France, contribuant à développer la pratique.
De son coté, le Club alpin continue à œuvrer pour promouvoir le tourisme hivernal et la promotion du ski. En janvier 1907, il organise à Montgenèvre le premier concours international de ski, avec le soutien de militaires de l'école de ski du 159°. L'évènement attire plus de 3000 visiteurs, alors que Briançon ne compte à l'époque que 6000 habitants. L'écho dans la presse est retentissant et élogieux. Ce succès donne des idées : Le premier concours international de ski est lancé à Pau les Eaux-Bonnes dans les Pyrénées du 14 au 16 février 1908. Au Bessat, près de Saint Etienne, le premier concours du Club alpin se déroule en 1909 devant 1000 spectateurs pour seulement trente participants.
Durant cet hiver et le suivant, le Club alpin finance aussi la fabrication et la dotation de skis aux populations montagnardes en vue de favoriser l'essor de ce nouveau sport en France. Des centaines de paires de skis sont distribuées dans la vallée de Chamonix, en Maurienne, en Tarentaise, dans le Briançonnais et le Queyras. Des démonstrations à ski sont organisées jusque dans les Pyrénées, aux Eaux-Bonnes-Gourette, et à Bagnères-de-Bigorre. On est encore loin d'une compétition de ski, note l'Histoire des sports : « la principale cause de l'engouement pour les sports d'hiver n'est certes pas… sportive. Ils sont réservés à une élite sociale ou à des professionnels, militaires ou moniteurs, dont le rôle se limite à assurer le spectacle ». Mais l'élan est donné.
La Commission des sports d'hiver du Club alpin
Le Club alpin met en place une « Commission des sports d'hiver » qui sera, jusqu'en 1924, une des composantes principales de l'institution. L'« Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques », qui coordonne les activités sportives au niveau de l'État, attribue au Club Alpin le pouvoir confédératif et réglementaire du ski. De nombreux Groupes de skieurs vont se rapprocher du Club Alpin, en tant que « sociétés affiliées », d'abord la Société de ski du Dauphiné, et ensuite quarante-six autres clubs de ski entre 1908 et 1909. En 1910, la Section de Paris du Club Alpin crée son Ski club.
En janvier 1908, le deuxième concours international de ski se tient à Chamonix tandis que la station de ski du Lioran, dans le Massif Central, est implantée de toutes pièces par le Club Alpin, qui promeut un tourisme hivernal.
Le Club alpin dans les starting-blocks






Porté par le besoin patriotique particulier à cette époque de valoriser les exploits sportifs nationaux, les compétitions organisées par le Club alpin reprennent après-guerre. Il relance notamment le concours international annuel de ski, fondé en 1907, qu'il organise à Chamonix à deux reprises (1920 et 1922), puis à Morez-du-Jura en 1922, et Superbagnères en 1923.
Ces initiatives autour des sports d'hiver va favoriser leur intégration au programme des prochains Jeux olympiques, prévus en France en 1924. En 1921, au cours d'un Congrès international olympique, il est décidé que la France pourra présenter des concours internationaux de sport d'hiver - ski, patinage, hockey sur glace - à titre expérimental, et en prélude aux JO de Paris, mais sans remise de médailles olympiques. Le Club alpin est dans les startingblocks, la date coïncide de plus avec son cinquantième anniversaire.
Il opte pour Chamonix, seule station française à posséder les équipements sportifs et hôteliers nécessaires pour cette manifestation. Les premiers Jeux olympiques d'hiver se dérouleront donc du 24 janvier au 4 février 1924, à Chamonix, et la Commission des sports d'hiver du Club alpin français est, de fait, la fédération représentant les sports d'hiver français.
Après les jeux, se pose la question de structurer cette nouvelle discipline phare de ces Jeux d'hiver : le ski. La fédération internationale de ski est ainsi créée en 1924, lors de la réunion du 8ᵉ congrès international de ski à Chamonix. En France, le club alpin, qui chapeaute toujours les activités liées au ski, se trouve tiraillé : « Le développement des concours de ski auxquels il apporte son aide, ne peut que générer des conflits entre deux conceptions du ski : l'une relevant du sport de compétitions, l'autre de l'exploration et de l'excursion alpine », relate l'ouvrage Histoire des sports. Il manque une organisation spécifique indépendante. Le 9 juillet 1923, le CAF fait approuver des statuts pour la création d'une fédération française de ski. Le début d'une nouvelle aventure de montagne.
Cette pépite historiographique aura refait surface subrepticement, le temps de quelques heures samedi 16 mars à Chamonix, avant de retomber probablement dans l'oubli, le jeu (olympique ?) de l'Histoire sans doute.
Pour plus de développement sur l'implication du Club alpin dans les JO d'hiver, lire l'ouvrage Histoires des sports, dirigé par Thierry Terret et édité par L'harmattan dans la collection Espaces et temps du sport.