Vers un nouveau visage de l'alpinisme ?

Les cinq jeunes dévoilés par Christophe Moulin, lors de la soirée "Les nouveaux visages de l'alpinisme" à Chambéry vendredi 24 novembre, n'ont pas qu'une liste de courses à donner le tournis et du talent à revendre, ils apportent un nouvel état d'esprit, et peut-être d'autres définitions, à la discipline.

Martin de Truchis dans Lowe, love me do, au cirque de Gavarnie. Martin de Truchis dans Lowe, love me do, au cirque de Gavarnie.

Des messages d'avertissements type " attention, réalisations à ne pas répéter sans l'avis d'un professionnel " ou " assurez-vous d'avoir étudier le topo avant de partir dans les voies présentées " devraient être distillés avant la soirée Les nouveaux visages de l'Alpinisme  et tous autres évènements dans la même veine d'ailleurs , tant le niveau des jeunes couronnés vendredi 24 novembre à Chambéry peut faire perdre le sens des réalités. L'intégrale de Peuterey dans le massif du Mont-Blanc, que plusieurs d'entre eux ont parcouru à la journée, passe pour une course classique. Les hivernales dans les grandes faces des Jorasses ou des Écrins semblent être des voies normales. Quant aux directissimes et aux voies peu parcourues car extrêmes, ils les empilent à la journée comme on ajoute une variante à une randonnée.

" Cette génération cumulent des performances dans toutes les disciplines de l'alpinisme ", acquiesce Christophe Moulin, infatigable formateur au sein des groupes de la FFCAM et alpiniste de haut niveau. " Pourtant, il y a peu d'égo, ils ne sont pas centrés sur eux-mêmes et grimpent ensemble. Ils ont seulement envie de gravir des voies et de le partager avec d'autres ". Ayant troqué ses habits de montagnard pour une tenue d'animateur ce soir-là, il notait ainsi ce détail: "Qui aujourd'hui serait capable de citer les compagnons de cordée de Terray, Profit, Berhault, Lafaille, Messner ou Gabarrou​ ?"  

Son œil avisé, qui a sélectionné ces "visages" de l'alpinisme, pointe aussi des évolutions dans la pratique : " Pour eux, l'alpinisme est un sport, ils ont des plans d'entraînement en endurance, en escalade ou dans les disciplines spécifiques pour progresser. Auparavant, on partait quand il y avait les conditions, c'était tabou de s'entraîner ! 

Amaury Fouillade Amaury Fouillade

Amaury Fouillade, " boulimique de montagne " comme il se décrit, s'entraîne " par cycle " sur l'année : " Du foncier au printemps, du kilomètre vertical, du vélo... et l'escalade pratiquement toute l'année. L'hiver, je reprends les pioches, et je me fixe aussi quelques gros objectifs sur des créneaux précis ". Avec Martin de Truchis et Olivier Kolly, il a répété en février De l'Or en Barre, en face sud de la Barre des Écrins. " L'été, je fais beaucoup de courses, j'ai plus de mal à me fixer sur quelques gros objectifs ". Ce qui ne l'a pas empêché de réaliser quelques ébouriffants enchaînements entre les Bans et les Rouies, autour d'Ailefroide, ou sur sept jours dans les aiguilles de Chamonix. " J'aime bien quand je sens que ma machine tourne, quand je la pousse encore et quand je vois que je peux aller encore plus loin. "
 

Annabelle Bouchardon Annabelle Bouchardon

Très forte grimpeuse, Annabelle Bouchardon avoue aussi " travailler le cardio, pour être plus à l'aise et réaliser des enchaînements ". Issue des écoles d'aventure de la FFCAM, membre de la sélection nationale de dry tooling et aujourd'hui du GEAN, elle a " poussé un peu le curseur " cet été sur une ambitieuse traversée des aiguilles de Chamonix, reliant plusieurs voies de haut vol sur quatre jours et en autonomie : " C'était long mentalement et physiquement, mais une très bonne expérience, comme une mini expé ! "

 

 

" Avant, les meilleurs alpinistes étaient de bons grimpeurs, mais ils n'étaient pas les meilleurs grimpeurs ... "
Christophe Moulin

 

Léo Billon Léo Billon

"Cette polyvalence les amène à franchir des caps, sur tous les axes de la discipline, pour atteindre un très haut niveau, comme on le voit avec Léo : Il peut rivaliser avec les meilleurs grimpeurs, mais excelle aussi dans les faces nord ou sur des itinéraires extrêmes. Avant, les meilleurs alpinistes étaient de bons grimpeurs, mais n'étaient pas les meilleurs grimpeurs ", résume Christophe Moulin. 

Léo Billon justement, ancien membre du GEAN et guide. À présent membre du Groupe militaire de haute montagne (GMHM), le caporal dédie depuis 6 ans " tout son temps à l'alpinisme de performance " : " Ce que je recherche, c'est la complexité, l'incertitude, et à travers ces deux concepts, l'engagement. " Une définition qui se traduit par une liste de courses plus verticales les unes que les autres : la trilogie des directissimes ( faces nord de l'Eiger, des Jorasses et du Cervin) en moins d'un mois, La colonne d'Ercole, une voie en 7c de 1000 m dans la Civetta à vue et en une journée, une ascension éclair de la Gousseault-Desmaison en une journée également et au départ de Chamonix ...

" L'alpinisme ne passe pas toujours par les sommets ", nuance-t'il. L'automne dernier, en Patagonie, il a participé à une expédition du GMHM, reliant deux calottes glaciaires du Yellow Continental. " Une traversée glaciaire horizontale sur 45 jours, en kayak, à ski…" et surtout en autonomie. 

 

 

 

" L'alpinisme ne passe pas toujours par les sommets "
Léo Billon
 

Pauline Champon Pauline Champon

De quoi inspirer les jeunes alpinistes. Parmi les cinq présents, trois viennent de candidater aux vacations ouvertes du GMHM, et beaucoup rêvent de vivre de leur passion. Tous ? Non: Pauline Champon a fait du ski alpinisme en compétition, membre du Groupe féminin de haute montagne (GFHM), puis du GEAN en 2019, elle se définit comme " une pure amatrice ". Sa liste de courses a pourtant tout de celle d'une aspirant guide : Manitua à la journée dans la face nord des Jorasses, Magic Mushroom dans la face nord de l'Eiger, répétition de la voie Cerruti-Gogna dans la face nord du Cervin, l'ouverture de Brothers in arms avec le GEAN dans la face nord du Cholatse, et plus récemment une tentative de répétition d'une voie à Oman. La chute d'un bloc sur sa jambe a mis un terme à ce projet. " On peut faire de belles choses en alpinisme et en escalade tout en ayant une vie professionnelle en dehors de la montagne, explique la collectionneuse de faces nord, Ce n'est pas le schéma classique en France. Passer le guide, quand on est un alpiniste de bon niveau, est perçu comme la consécration, mais on peut trouver son équilibre autrement ". Ingénieur, elle travaille à temps partiel pour pouvoir réaliser ses projets en montagne sur son temps libre. 

 

" On peut faire de belles choses en alpinisme et en escalade tout en ayant une vie professionnelle en dehors de la montagne "
Pauline Champon

Clovis Paulin Clovis Paulin

Clovis Paulin, lui, a décroché son guide, tout en sachant pertinemment qu'il n'assouvira pas ses envies de montagne à travers son métier : " Quand on guide, on ne joue pas avec la limite. On se doit de garder une grande marge. Et même si on trouve un client aussi bon que soi, on devra toujours garder plus de marge que dans nos pratiques personnelles ", justifie-t-il. Celui qui s'est forgé dans les Aravis, compagnon de cordée de Gabarrou " par hasard ", a notamment répété la directissime de la Walker dans les Jorasses. L'hiver dernier, il a ouvert, avec Nicolas Beauquis, une voie d'envergure à Sixt-Fer-à-Cheval, au nom équivoque de La belle à faire.

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Ce dernier fait aussi partie du GEAN, un de plus. Voyons, cette sélection est-elle sérieusement objective ? " J'ai été le premier surpris de voir qu'ils sortaient tous des filières de formation FFCAM. Mais il faut plutôt en dresser un constat : aujourd'hui cette filière de formation amène au très haut niveau", répond Christophe Moulin. Et fait la " fierté " de Nicolas Raynaud, co-président de la FFCAM, présent à la soirée : " Quand nous avons créé cette filière, des écoles d'aventure aux groupes excellence, nous n'imaginions pas ce niveau de performance. Cela donne vraiment du sens à notre engagement ".

 

" Ces performances donnent du sens à notre engagement "
Nicolas Raynaud