Une saison avec le GEAN

Grosses bartasses, ouvertures, petites croix symboliques ou longs enchaînements, l'été du GEAN a été aussi prolixe que diversifié. On rouvre l'album photo.

Chacun son style, chacun sa façon d'aborder la montagne pour mettre en pratique les acquis de cette première période, et ce malgré « une météo et des conditions compliquées en début de saison », rappelle Sophie Jacob.

Du massif du Mont-Blanc aux Dolomites

Kilian et Sophie © Kilian Moni Kilian et Sophie © Kilian Moni

La guide de haute montagne a jonglé entre son travail et ses ambitions pour cocher des voies qui lui tenaient à cœur : « Sale Athée à l'aiguille du Moine, Police des glaciers à la pointe Adolphe Rey avec Kilian, la Grande Arabesque* dans les Aravis, … au final, beaucoup de grimpe en grande voies en alternant calcaire et granit, dans plusieurs massifs des Alpes, les Dolomites, le massif du Mont-Blanc, les Aiguilles Rouges, les Aravis… » L'objectif principal était cependant pour elle la préparation de l'expédition de fin de cursus de l'ENAF (Équipe nationale d'alpinisme féminine de la FFME) dont elle fait partie avec Isis Millérioux. « Nous partons dans l'Uttarakhand en Inde, avec Mathilde Badoual, accompagnées par Lise Billon et Maud Vanpoulle. Notre premier objectif est le Brahmasar (5850m), mais nous réajusterons en fonction des conditions, il y a de nombreuses possibilités. » Isis Millerioux, à présent sur pied après un accident de ski en début d'année, fait partie du voyage. « Mon genou a été sauvé, mais j'avais perdu beaucoup de muscles.  J'ai beaucoup travaillé en centre de rééducation pour regagner de la force avant l'expé. En escalade, j'ai retrouvé des sensations, il me manque encore un peu de puissance mais je me sens capable de suivre », révélait-elle, confiante et aussi soulagée que nous, à quelques heures de son départ.

 

* Enchaînement de 5 grandes voies dans les Aravis

Lors de l'ouverture de la Sphink's Lors de l'ouverture de la Sphink's

Lui aussi vient de s'envoler pour une expédition himalayenne il y a quelques jours : Kilian Moni a dans le viseur quelque sommet dans le secteur du Kanchenjunga, au nord-est du Népal. En préparation de son projet, un été très grimpant à Chamonix, avec son doute en point d'orgue, l'ouverture du Sphink's  (380m 8a+/7a A0) sur les contreforts de l'aiguille du Moine avec Hugo Peruzzo, Arthur Poindefert et Pierre Girot. Une œuvre 100% GEAN sur une idée originale d'Hugo comme le précisait Pierre. « Cette ouverture de voie d'escalade est la première pour nous en haute montagne », témoigne-t-il, « Nous avons réussi à transposer ce que nous avions appris à Presles, à savoir imaginer une ligne sur la paroi, anticiper comment passer les difficultés, où placer le curseur entre artif' et escalade en libre**. » La voie, qui a été libérée, doit son nom à l'œuvre intemporelle de Goscinny, Astérix et Cléopâtre, à la suite d'une petite frayeur sur une prise.

**  Lors de l'ouverture d'une voie difficile, les grimpeurs élaborent leur stratégie: passer d'abord en artif ‘ pour ensuite libérer la longueur ou tenter de passer directement en libre.

Photos ci-contre et ci-dessous de Kilian Moni, Pierre Girot et Arthur Poindefert.

À la journée

Quelques semaines plus tard Pierre et Hugo rempilent du côté des Écrins en réalisant Pulsation, une grande voie dans la face sud de la Meije ouverte par une autre cordée de choc, Benjamin Védrines et Nicolas Jean. « Ambiance aventure, les longueurs durs sont bien équipées, mais les parties plus faciles en 6b-6c ne le sont pas et ne se protègent pas si facilement. Une voie finalement très alpine et sauvage ! ». Début août, il avait fait un petit tour dans les Cerces pour s'échauffer : un enchainement de cinq grandes voies réalisé en une journée. « En Haute-Savoie, il y a la Grande Arabesque, j'ai imaginé un équivalent dans les Cerces qui sortirait au sommet du Grand Galibier », justifie-t-il. Un voyage dans les Cerces qui s'est traduit par 1200 m de grimpe dans le 6e degré avec « des transitions assez logiques ».
Il terminait sa saison il y a quelques jours encordé avec Arthur Poindefert sur la redoutable (et tristement célèbre) Gousseault-Desmaison, en face nord des Grandes Jorrasses… à la journée évidemment. « Impossible de ne pas penser à eux pendant notre ascension et aux mots de Desmaison dans son livre 342h dans les Jorasses », relate Pierre sur son compte Insta.
À noter l'instant poétique que nous a offert Arthur Poindefert à l'aiguille du midi à la fin de l'été. Il a amené son violoncelle en haut de la voie Digital Crack, qui comprend le plus haut 8a d'Europe. Avant d'être un virtuose de l'escalade, Arthur était en effet un musicien accompli. « 20 ans de musique et 10 ans de grimpe », résume-t-il sur son post Instagram.

 

Dans La Gousseault-Desmaison, face nord des Grandes Jorrasses © Arthur Poindefert

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En tout début de saison, Yanis Cherqaoui et Hugo Perruzo se sont associé à Baptiste Obino, ancien membre du GEAN, pour ouvrir un nouvel itinéraire en face ouest et nord du Petit Dru (3 730 m). Un château dans le ciel (ED, 1000 m, 7b+ max), c'est le nom que leur a inspiré cette escalade, qui suit une ligne raide, dessinée par une fissure, débouchant sur un ilot de granit au-dessus des nuages.

Botte de sept lieues

Entre deux 9a (Massala Tea dans le Valais suisse et Le mur du som, présumé 9a) et une nouvelle voie dure libéré à Ailefroide (Gnome wall variation, 8b+, 300m ), Esteban Daligault a réalisé en une semaine ce qu'un bon alpiniste rêverait de pouvoir réaliser en plusieurs années :  sept voies dans le septième degré sur sept sommets des Écrins en sept jours, en passant par sept refuges. Un enchainement original, et surtout ambitieux, imaginé par son partenaire de cordée Baptiste Obino (encore lui). Dans ce programme qui les promène uniquement à pattes de la face nord de l'Olan à la Dibona et des Bans à la Meije, ils cochent entre autres Chauve qui peut (7b, 1000m), Mitchka (7a, 800 m), Pavé dans la mare (7b, 370m), Makhnovtchina (7b, 1100 m), Unchi Maka (7c, 350m), Bans Bino… Pour rallier les refuges sans botte des sept lieux, nos funambules ont coupé par les arêtes et les sommets. Objectif rempli : ils sont toujours arrivés à l'heure pour chaque repas du soir ! Les statistiques : environ 70 km parcourus et 5000 m d'escalade. « Rentable la sortie », écrira-t-il sur son compte Insta.
Les Écrins, Laetitia Chomette, les as également parcourus de long en large sur sa saison, pour son activité professionnelle (elle est guide dans le secteur) et son petit plaisir : « J'ai un énorme affect pour les Écrins », confiait-elle sur sa page de présentation : Mitchka en face sud de la Meije, Arête sud de la Grande Ruine, grandes voies à la Dibona pour accompagner le Groupe alpinisme féminin FFCAM d'Île-de-France.

Une ligne conductrice à ce panaché de sorties : la profusion d'idées et le besoin de repousser les limites. « Des réalisations sensiblement au-dessus de ce qu'on avait l'habitude de voir dans les équipes précédentes », admettra Stéphane Benoist, le coach du GEAN. « Quand Patrick Berhault et Philippe Magnin, avaient réalisé la Gousseault-Desmaison dans les années 2000, c'était sur deux jours et c'était déjà une performance..
Nous retrouverons le groupe mi-décembre probablement dans les Alpes du sud, pour un stage dont le contenu s'adaptera aux conditions en montagne de cette période de l'année.