Travaux du fondoir, un chantier hors norme

Les récents travaux du fondoir à neige du refuge du Goûter ont mis en lumière le caractère exceptionnel d'un tel chantier de haute altitude. Zoom sur les entreprises qui relèvent le défi.

Refuge du Goûter, massif du Mont Blanc Le matériel est acheminé en bags par hélicoptère.
© Marie Paturel

« En altitude, il faut prendre en compte de nombreux paramètres qui n'existent pas en vallée »affirme Alexis Meyer, de l'entreprise IT'EnR qui a réalisé la rénovation des groupes électrogènes et des parcs de batteries du refuge du Goûter en 2024, en parallèle de la rénovation du fondoir à neige. En effet, à plus de 3800 mètres d'altitude, la conduite d'un chantier s'apparente à un véritable challenge technique, logistique et humain. Réaliser des travaux en site isolé et, de surcroît, en haute montagne exige une forte motivation et une cohésion des équipes, mais aussi une grande capacité d'adaptation et une organisation rigoureuse. 

Un défi technique et logistique

Pour réaliser des travaux au refuge du Goûter, un outil s'avère indispensable : l'hélicoptère. « Au vue de la difficulté de l'itinéraire entre la vallée et le refuge, il n'est pas concevable que les ouvriers montent à pied », précise Jérémie Pouge, chargé d'opération à la FFCAM. Sans héliportages, impossible d'acheminer le matériel et les hommes jusqu'au chantier. Dans le cadre de la rénovation du fondoir à neige, la société Savoie Hélicoptères a assuré la totalité des rotations nécessaires tout au long de l'été et de l'automne 2024. « Les conditions météo ont parfois été très difficiles, particulièrement en septembre, avec beaucoup de vent »évoque Théo Vaillant, assistant de vol et chargé de projet travail aérien. 

« Outre la météo qui nous a contraints à étirer le planning, nous avons aussi dû gérer le chantier en période d'ouverture du refuge : gérer les nuisances que les travaux généraient pour les clients et gérer les perturbations des clients pour nos équipes »évoque Matthieu Chateau, ingénieur bois responsable du bureau d'études de la société Altibois. Cette cohabitation peut générer des problématiques de sécurité, de partage des espaces ou encore de repos des ouvriers, réveillés à trois heures du matin par les alpinistes en partance pour le mont Blanc. « C'est notamment pour limiter ce type de nuisances et de risques que le refuge a été fermé10 jours plus tôt cette année. Cela nous permettait de mettre toutes les chances de notre côté pour terminer les travaux avant l'arrivée de l'hiver », explique Jérémy Pouge. 

Refuge du Goûter, massif du Mont Blanc L'hélicoptère, indispensable à un chantier d'altitude.
© Marie Paturel

Que le refuge accueille ou non du public, il a fallu gérer au cordeau le ballet des héliportages. Théo Vaillant a ainsi dirigé les charges en lien étroit avec les entreprises, l'hélicoptère ne pouvant transporter des poids trop importants à de telles altitudes.  « La préparation en amont est essentielle »confirme Alexis Meyer. « Il faut calibrer le poids des bags qui seront héliportés en réfléchissant à nos besoins, à ce qui est vraiment utile pour le chantier. Et aussi penser au matériel qui doit être transporté en plusieurs fois, comme les groupes électrogènes qui ont été héliportés par morceaux puis assemblés au refuge. » Un chantier d'altitude ne tolère aucun oubli ni aucun superflu. Les entreprises doivent donc repenser leur manière de travailler. Tous les ouvriers présents sur le chantier du fondoir du Goûter soulignent l'intérêt d'une telle réflexion qui les amènent à se remettre en question et à considérer différemment leurs méthodes de travail. 

Une épreuve physique

A plus de 3800 mètres d'altitude, l'oxygène se fait plus rare et les effets sur l'organisme se font rapidement sentir. En quelques heures à peine, il est fréquent de souffrir de maux de tête, de vertige et de fatigue. Travailler au refuge du Goûter ne requiert pas d'être alpiniste, mais de tolérer des conditions éprouvantes alliant haute altitude, froid et isolement. « Travailler ici, c'est du team building toute la semaine »lance en souriant Alexis Meyer. « Il faut être très attentifs à nos coéquipiers car on réagit tous différemment à l'altitude. Ça crée des liens qu'on n'a pas en bas, des liens humains incroyables, même si c'est aussi très dur parfois. » L'attention portée aux détails – boire très régulièrement, respecter les signaux de fatigue, décider de redescendre rapidement en cas de symptômes du mal aigu des montagnes – revêt ici une dimension particulière. Pas question de jouer aux héros et de se mettre en danger dans un lieu où une évacuation est aléatoire car dépendante des conditions météorologiques. 

« Les gars commencent à 7 ou 8 heures du matin et terminent à 20 heures. Ils travaillent dans des conditions difficiles et les nuits ne sont pas récupératrices à cause de l'altitude. Il leur faut beaucoup de calories »explique Franck, le cuisinier du chantier. Le sommeil est perturbé, les capacités physiques sont amoindries et la dépense énergétique décuplée. Le moindre effort devient éprouvant.  « À 3 800 mètres, il faut travailler en équipe car on perd notre capacité de réflexion et notre lucidité »ajoute Jean-Philippe Lansard, de l'entreprise Solaravis. « Nous avons besoin de confronter nos avis en permanence, ce qui permet aussi de trouver et mettre en œuvre des solutions inédites. » 

Refuge du Goûter, massif du Mont Blanc Le travail d'équipe est une clé essentielle de la réussite.
© Marie Paturel

Une expérience valorisante

Pour tous les acteurs de l'entretien et de la rénovation des refuges, la passion pour des chantiers exceptionnels dépasse les contraintes inhérentes aux sites d'altitude. Au-delà de leur appétence pour le milieu montagnard, c'est aussi le goût du défi qui les anime et l'attrait du travail au sein d'équipes multidisciplinaires. Pour qu'un chantier comme la rénovation du fondoir à neige du refuge du Goûter soit une réussite, l'intelligence collective joue à plein. Commandités par la FFCAM, ces travaux hors normes exigent des corps de métier de trouver des solutions techniques idoines, à la fois respectueuses des besoins particuliers d'un refuge et de l'environnement d'altitude. « Il faut mettre en place des techniques spécifiques, mais fiables »estime Matthieu Chateau. « Il ne faut pas trop expérimenter, il faut adopter des solutions éprouvées et pérennes. » 

Véritable « chantier image », les travaux au refuge du Goûter constituent une opportunité de valoriser des savoir-faire et d'affirmer un haut niveau d'expertise. L'entreprise d'électricité IT'EnR s'est ainsi spécialisée dans les sites isolés et intervient dans une trentaine de refuges chaque année. L'architecte Philippe Caire est déjà intervenu au refuge du col de la Vanoise ou encore au refuge Félix Faure avant de prendre en charge les travaux du fondoir du Goûter. Pour Altibois, de tels chantiers attirent des candidats charpentiers séduits par les travaux en montagne tandis que, pour Savoie Hélicoptères, ils confirment la volonté de l'entreprise de devenir un acteur majeur du travail aérien dans les Alpes. Travailler pour les refuges de la FFCAM permet ainsi de développer des compétences et des savoir-faire. « Un chantier comme celui-ci nous permet d'accomplir des choses incroyables »conclut Alexis Meyer. « C'est hyper valorisant humainement et personnellement. »