Médine Kara : « Au bout de deux ans, les femmes ne sont plus les mêmes »
Parmi les animations de la journée du 6 avril pour les 150 ans du Club alpin, à Chambéry, se tiendront plusieurs tables rondes. L'une d'elle portera sur la féminisation des pratiques de montagne, avec en particulier, l'intervention de Médine Kara, initiatrice alpinisme et fondatrice de groupe féminin CAF Girls Grand Est.






Militante féministe avant de se révéler montagnarde et de devenir initiatrice alpinisme, Médine Kara a œuvré de nombreuses années pour l'égalité des sexes. Lors de la table ronde consacrée à la place des femmes dans les activités de montagne, la fondatrice du CAF Girls Grand Est nous fera part de ses réflexions, de ses apprentissages, de ses surprises et anecdotes.
Qu'est-ce qui vous a amenée à former un groupe féminin ?
Médine Kara : Quand j'ai commencé à faire de la montagne, et à m'investir dans l'organisation de sorties, je me suis naturellement retrouvée entourée de femmes. Les femmes semblaient se sentir plus à l'aise dans ce type de groupe. En parallèle, j'observais de la part de certains hommes de la réticence à être leadés par une femme. Une fois, un homme m'a dit apprécier participé à mon groupe, car il y avait moins de, je le cite, « testostérone », mais la plupart du temps, je constatais l'inverse. Tout cela m'a questionné sur la place des femmes. J'ai ainsi eu envie de créer un groupe exclusivement féminin, pour que les femmes se sentent bien, je voyais qu'autour de moi, les femmes préféraient être encadrées par une femme et pratiquer entre elle, dans une ambiance moins compétitive. Le but est qu'elles apprennent à se faire confiance en montagne, qu'elle arrive à se sentir l'égal des autres. En parallèle, j'ai entamé la formation pour devenir initiatrice alpinisme et cascade de glace. Mon initiateur (ou initiatrice !) cascade de glace en poche, j'ai formé le groupe début 2018. Nous nous retrouvons au moins une fois par mois, voire deux parfois. Les retours très enthousiastes des femmes m'ont boostée pour boucler ma formation alpinisme. J'ai obtenu mon diplôme d'alpinisme en août 2019.






Quels sont les objectifs d'un groupe féminin ?
M. K : Le groupe permet aux femmes, par une pratique régulière, d'acquérir les compétences techniques pour être autonomes en montagne et prendre le lead. Mais cet apprentissage technique en entraîne un autre, moral. Entre elles, les femmes s'émancipent, elles prennent les décisions, elles s'engagent davantage et se sentent plus fortes et finalement prennent le lead ! Ce n'est pas que les femmes sont moins fortes, c'est qu'elles ne se donnent pas le droit d'être fortes. Le but n'est pas que les femmes pratiquent séparément des hommes, mais de faire une parenthèse de deux ans pour que les femmes gagnent en technique et en confiance, pour pratiquer à l'égal des autres. Dans les groupes mixtes, on remarque que le comportement des femmes change complétement, elles vont malgré elles tendre à rester au second plan, même si elles ont largement le niveau. Enfin, former des femmes leadeuses, c'est aussi faire des modèles pour les autres femmes. Ces groupes féminins permettent finalement de casser les stéréotypes de genre.
Qu'est-ce que vous avez constaté après avoir mis en place ce groupe ?
M. K. : Ce groupe est une vraie aventure humaine. Au bout de deux ans, j'ai remarqué que les femmes n'étaient plus les mêmes. Mais cette confiance s'étend bien au-delà de la pratique de la montagne : je vois des femmes qui prennent plus d'assurance dans leur vie professionnelle, comme cette ingénieure qui faisait systématiquement valider ses projets par un collègue, et qui après deux ans, s'est rendu compte que ce n'était pas justifié ! C'est une avancée énorme ! Attention, tout n'a pas été simple, je me suis heurtée à des réticences pour créer ce groupe, certains avaient du mal à comprendre les mécanismes en jeu, et parlaient même de ségrégation, alors que c'est de la discrimination positive.





Quel est l'état de la féminisation dans les pratiques des activités de montagne ?
M. K. : J'ai constaté un grand changement, même si on est encore loin de la parité, à partir des années 2013-2014. Là où en refuge, pour des courses d'alpinisme, on comptait cinq femmes pour une centaine de personnes, aujourd'hui, cette part peut monter à un tiers. Auparavant, quand je faisais de la montagne encordée à une autre femme, les autres cordées (bien souvent masculines) nous regardaient, éberluées. Il imaginait que la première devait être guide, ce n'était pas possible autrement. Il y avait des excès de bienveillance, ou des réactions moins sympas. Certains voulaient passer devant, nous imaginant trop lentes ! En Autriche, un jour, alors que je m'apprêtais à équiper une cascade artificielle raide, un homme a couru vers moi pour m'empêcher d'y aller « pour ma sécurité », parce que « c'était d'après lui trop difficile pour moi ». Heureusement, les deux femmes avec qui j'étais m'ont incitée à y aller quand même. Une fois la voie terminée, j'ai été applaudie par le groupe de gendarme qui se formait à côté. Sur le moment, c'était flatteur, mais en réalité, ma prestation sur la glace n'aurait pas dû être perçue comme un exploit.
D'après vous, que doit-on faire pour pousser cette féminisation de la montagne ?
M. K. : Communiquer, montrer des femmes en montagne, sur les réseaux sociaux par exemple, et aussi d'autres supports. La filmographie, telle que celle mise en avant dans le festival Femmes en montagne, est un levier intéressant et permet aussi de changer l'image des femmes dans l'imaginaire collectif. Sur le terrain, les groupes féminins sont des outils précieux. Les femmes reviennent ensuite sur le circuit « mixte » formées et plus assurées. Elles pourront elles-mêmes devenir encadrantes, montrer l'exemple, et amener d'autres femmes sur ce chemin.
Programme du 6 avril et inscription
En présence de : Petzl, Goodloop, Whympr, LPO/ASTER, le Parc national de la Vanoise, les Éditions du Mont-Blanc, les Éditions Guérin-Paulsen, Ternua, Triple Zéro et Recco - API-K
19h
Apéritif et tarti'Cafiste !
Grand concert Années 80 du Big Ukulele Syndicate
DES ÉVÈNEMENTS DANS ET AUTOUR DE CHAMBÉRY TOUTE LA SEMAINE
Des sorties encadrées et des sessions de formation à la journée
** PROGRAMME ET CONTACTS POUR INSCRIPTIONS ICI **
Des conférences
"Avalanches, comment réduire le risque"
par Olivier Moret et Philippe Descamps,
le mardi 2 avril à 20h à la salle Jean Renoir à Chambéry.
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"Des Alpes à l'Himalaya la cartographie des vigilances"
par Paulo Grobel, guide de haute montagne,
le jeudi 4 avril à 20h à la salle Jean Baptiste Carron à Chambéry.
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