Projet EXALT : « Une étude inédite en termes d'effectifs comme de domaines étudiés »

Après une première mission au cours de l'été 2024, les chercheurs et médecins d'EXALT* repartent cet été au Kirghizistan pour poursuivre leurs mesures sur l'impact de l'altitude sur l'organisme humain.

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High Cycle – c'est le nom du projet – porte tout particulièrement sur les différences physiologiques entre les hommes et les femmes en altitude. Cette étude, qui a démarré l'année dernière, est dirigée par Michael Furian, grand spécialiste de l'altitude, professeur et chercheur à l'Université de Zurich. Elle se déroule en collaboration avec les chercheurs de l'équipe du Professeur Sooronbaev du Centre National de cardiologie et de médecine interne de Bishkek. Si le projet global est financé par le fond de recherche national Suisse, au regard de l'intérêt de cette étude pour la communauté montagnarde, la FFCAM y a apporté un soutien financier. Membre de l'association EXALT, notre médecin fédéral, Benoit Champigneulle, est du voyage et coordonne la participation française à l'étude. Il nous détaille l'ampleur de ce projet d'étude.

FFCAM : Quel est l'intérêt de ce projet pour la science ?

Benoit Champigneulle : Les objectifs principaux de l'étude sont d'étudier si la survenue d'un mal aigu des montagnes (MAM) est plus fréquent chez la femme que chez l'homme, lors d'une ascension en haute altitude à 3600 m, et de comparer l'efficacité de l'acétazolamide (plus connu sous le nom de Diamox®) pour prévenir la survenue du MAM chez la femme versus chez l'homme. Cette étude se justifie en raison du peu de données disponible à l'heure actuelle concernant les réponses de l'organisme à l'altitude chez la femme, la majeur partie des études ayant été conduites chez des hommes. De la même manière, la majorité des études sur l'efficacité des traitements pour prévenir le MAM a été conduite sur ces derniers. Or, nous savons aujourd'hui qu'il existe des différences physiologiques entre ces deux populations, ce qui justifie de s'intéresser aux effets de l'altitude chez la femme. De plus, il semblerait que le simple fait d'être une femme est un facteur de risque de développer un MAM, mais cela reste débattu dans la communauté scientifique. 

FFCAM : Comment se décline ce projet sur le terrain ?

B. C. : La première étape est d'observer si les femmes présentent autant de MAM que les hommes lorsqu'elles sont exposées à la haute altitude. On cherche aussi à savoir si l'efficacité de la prise préventive d'acétazolamide (c'est à dire, débutée la veille de l'ascension en haute altitude), pour éviter la survenue d'un MAM, est différente chez la femme, versus chez l'homme. Pour cela, il est prévu de réaliser des mesures sur un panel de 300 volontaires âgés de 18 à 44 ans et constitué de 50% de femmes. Ce nombre important de participants a été calculé pour garantir la puissance statistique de l'étude. Compte tenu de l'effectif du panel et des nombreuses mesures que nous devons réaliser sur chaque participante et participant, nous réalisons l'étude sur deux étés consécutifs : une première partie du panel a été testée en 2024, les 170 individus restants le seront pendant l'été 2025.

Le site de Kumtor, où se déroule l'étude, au Kirghizistan. © EXALT Le site de Kumtor, où se déroule l'étude, au Kirghizistan. © EXALT

FFCAM : Pourquoi avoir choisi le Kirghizistan comme camp de base pour cette étude ? 

B. C. :  L'équipe de recherche Suisse de l'Université de Zurich, qui coordonne ce vaste projet scientifique, collabore depuis plus de dix ans avec des collègues kirghizes sur des questions médicales liées à la haute altitude. Mis à part ces liens très forts entre les deux entités, les prérequis de l'étude exigent une région comportant à la fois une zone de basse altitude, c'est-à-dire, inférieure à 1000 m, et une seconde de haute altitude, dans lesquelles il est possible d'acheminer facilement et loger un grand nombre de participants et de chercheurs. Cette dernère condition peut difficilement être mise en place dans les Alpes ; les lieux de recherche en haute altitude, par exemple, étant d'un accès difficile et/ou possédant des capacités d'accueil limitées. Le Kirghizistan, avec ses plaines et ses hauts plateaux accessibles par voie routière, réunit toutes ces conditions.
Les mesures de référence prises en basse altitude sont réalisées dans la capitale, Bichkek, à 760 m d'altitude. Durant près de trois semaines, nous examinons dix à quinze individus par jour ! Ensuite, nous allons nous installer en haute altitude les trois semaines suivantes au sein du complexe minier de Kumtor. Cette importante mine d'or est située dans les montagnes du Tian Shan, au sud du lac Yssyk Koul, et dispose d'une base de vie à 3600 m d'altitude pouvant accueillir assez confortablement un grand nombre de personnes sur plusieurs jours. Elle est pourvue d'un centre médical bien équipé, qui nous permet de réaliser toutes les mesures et les tests nécessaires. Les participants à l'étude y montent à tour de rôle, par petits groupes, en minibus, en ascension passive (sans activité physique), après avoir débuté un traitement par acétazolamide, la veille de l'ascension, ou par placebo. Pour éviter toute subjectivité dans les évaluations réalisées, ni le participant, ni les chercheurs ne connaissent la nature du traitement administré (principe actif ou placebo). On parle dans ce cas d'étude en « double aveugle ».
Les participants passent deux nuits en altitude. Pendant leur séjour à 3600 m, nous répétons chez les participants la même batterie de tests réalisée à Bishkek. Nous observons également qui est éventuellement sujet à un MAM et qui n'en présente pas. Dans le premier cas bien sûr, les participants reçoivent les traitements nécessaires en cas d'inconfort (par exemple, un traitement pour le mal de tête ou les nausées), reçoivent de l'oxygène et sont éventuellement amenés à redescendre plus précocement en cas de MAM modéré ou sévère. L'accès routier et les infrastructures mises à disposition pour l'étude permettent d'assurer la sécurité des participants.

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FFCAM : Dans le cadre de ce projet, quelle est l'apport des scientifiques d'EXALT ?

B. C. : Afin de préciser les différences physiologiques entre les hommes et les femmes exposés à l'altitude et de mesurer dans les deux populations les effets de la prise d'acétazolamide, nous croisons plusieurs mesures pour lesquelles les chercheurs français d'EXALT apportent leur expertise. Nous nous intéressons tout particulièrement aux variations de volume sanguin, qui tend à se réduire rapidement lorsqu'on monte en altitude, ce qui engendre mécaniquement une augmentation de la concentration d'hémoglobine, sans qu'il y ait dans un premier temps, la production d'un plus grand nombre de globules rouges.
Les réponses neurovasculaires, c'est-à-dire, la façon dont évolue le débit sanguin dans le cerveau en altitude avec ou sans traitement par acétazolamide, constituent un deuxième champ d'étude.
Enfin, nous savons que les globules rouges ont la capacité de se déformer pour passer dans les petits vaisseaux sanguins. Nous nous interrogeons sur une potentielle différence de déformabilité des globules rouges avec l'altitude et la prise éventuelle d'acétazolamide. Ce sont les principales questions auxquelles nous cherchons à répondre et pour lesquelles nous apportons notre contribution, mais ces données profiteront à d'autres équipes, qui se poseront encore d'autres questions… High Cycle est un projet de grande ampleur ! 


FFCAM : Pourquoi ce projet est-il si singulier ? 

B. C. : Tout d'abord, il est rare de conduire une étude en haute altitude avec autant de participants. D'habitude, ce genre d'étude porte sur un effectif beaucoup plus faible, car la logistique est très lourde à mettre en place. En Europe, par exemple, il serait impossible d'organiser une étude de cette ampleur. Or, travailler sur de grands groupes, comme le permet l'environnement kirghiz, est nécessaire lorsqu'on veut démontrer certaines différences et permet d'obtenir des résultats plus solides. Ensuite, ce projet rassemble et fédère une importante communauté scientifique. La quantité de mesures relevées et les analyses qui en seront tirées devraient encore en intéresser d'autres !
Aussi, cette étude va participer à combler le manque de données féminines concernant l'hypoxie dans la littérature scientifique. Ce manque est principalement lié à nos conditions sociétales, l'alpinisme ayant été longtemps majoritairement pratiqué par des hommes. Cela dit, d'autres domaines sont également concernés en médecine…
L'autre originalité de l'étude, c'est la possibilité que nous avons grâce à l'importance de l'effectif féminin d'aller chercher des différences en fonction de la période du cycle menstruel. En effet, selon la phase du cycle menstruel chez la femme, il peut y avoir des modifications physiologiques, notamment sur la respiration, liées aux hormones produites par l'organisme. Ces modifications sont moins perceptibles en plaine, mais pourraient se révéler plus importantes en altitude, quand les femmes sont exposées au manque d'oxygène.

FFCAM : Quels résultats avez-vous déjà observés ? 

B. C. : Quelques tendances commencent à se dessiner à partir de l'analyse intermédiaire des premières données réalisées en 2024, mais il est bien trop tôt pour en parler publiquement, et surtout pour en tirer des conclusions définitives. On a tendance à oublier que le processus scientifique prend du temps ! Nous aurons fini de récolter toutes les données fin août, mais encore faut-il les traiter, puis les analyser, les comparer, discuter ces résultats et éventuellement les confronter à d'autres études. Avant de pouvoir donner une interprétation, il faut compter au moins un an de travail. Plusieurs articles scientifiques devraient découler de cette étude. Nous pourrons vulgariser les résultats à partir de ce moment-là.

À suivre sur notre site !

 

Benoit Champigneulle, médecin fédéral

Anesthésiste-réanimateur, Benoit Champigneulle travaille en réanimation chirurgicale au Centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes (CHUGA). Il est également chercheur associé au sein du Laboratoire HP2 (Université Grenoble Alpes / INSERM). Le champs de recherche de ce laboratoire est l'hypoxie (c'est à dire le manque d'oxygène), et en particulier le syndrome d'apnée du sommeil, mais au sein du laboratoire, l'équipe Exercice-Hypoxie dirigée par Samuel Vergès travaille plus précisément sur l'impact du manque d'oxygène dans le contexte de l'exposition aiguë ou chronique à  la haute altitude. C'est au sein de cette unité que Benoit participe également au projet Expédition 5300 au Pérou, portant sur les conséquences de la vie permanente à plus de 5000 m d'altitude.
Il a pris la suite de Pierre Bouzat au poste de médecin fédéral de la fédération en mars 2025. Son rôle est notamment de pouvoir répondre aux intérêts des licenciés de la fédération sur les problématiques médicales d'ordre général, d'organiser le suivi médical obligatoire des sportifs de haut niveau (la fédération étant délégataire de l'escalade sur glace) et de promouvoir la recherche médicale dans le domaine du milieu de la pratique des activités de montagne. Son travail en tant que médecin fédéral est bénévole.
Benoit a redécouvert les sports de montagne après ses études de médecine, ayant enfin « un peu de temps et de moyens ». « Je ne suis pas issu d'un milieu de montagnards, mais cet univers m'attirait pourtant. » Il s'inscrit alors au Club alpin de Paris, au sein duquel il se forme et acquiert l'autonomie en montagne.  « J'y ai trouvé une ambiance sympathique et un bon accompagnement pour débuter la montagne ». Débarqué à Grenoble en 2020, il adhère au Dry Tooling Style (DTS) Club, un club affilié FFCAM qui promeut la pratique du dry tooling. « Je n'ai pas assez de temps pour avoir une pratique associative de la montagne, mais j'aime beaucoup le mixte, le dry et la cascade, que je pratique régulièrement. Être adhérent de ce club est une façon de rester relié à une communauté de montagne et de soutenir des activités de montagne moins pratiquées. »

À l'hôpital de Bishkek

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Sur le site de Kumtor

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Batterie de tests à Kumtor

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Vue du centre sur les hauts sommets de la chaîne du Tian Shan

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Photos de Lucas Pfeifer