Christophe Moulin à la retraite ?
Publié le 19 décembre 2025
Cadre technique de la fédération depuis 20 ans, Christophe Moulin part à la retraite en cette fin d'année. L'alpiniste et coach des groupes espoir et du GEAN a marqué des générations de montagnards. Il quitte les effectifs certes, mais sera, sous d'autres formes, toujours à la maison FFCAM.

Christophe Moulin à la retraite. Cette phrase parait incongrue tant ces deux mots, Moulin d'un côté et retraite de l'autre, sont incompatibles.
C'est pourtant bien autour de son pot de départ à la retraite que les salariés de la fédération, des professeurs de l'ENSA, guides, alpinistes et amis se sont retrouvés mardi 16 décembre, dans les locaux de la fédération à Chambéry. Mais un doute subsiste… Quand on a été pionnier d'une discipline, l'escalade sur glace, au point de l'incarner pendant de nombreuses années, quand on a secoué le milieu de la montagne en osant le solo, quand on a tant de fois défié le froid et les hivers, quand durant 14 ans on a conduit la formation phare à l'alpinisme de haut niveau, peut-on raisonnablement tirer sa révérence, saluer le public et « partir à la retraite » ?
Christophe Moulin est engagé par la fédération pour prendre la suite de Luc Jourjon, à la tête du GEAN en 2006. « Il y a à la FFCAM une passion pour la montagne qui m'avait totalement séduit. En tant qu'amoureux de la montagne, je me suis immédiatement senti à ma place ici, en phase avec cette vision de l'alpinisme, de la montagne en général », se souvient-il.
À l'époque, on l'appelle déjà Moulinos. Il entraine déjà des équipes de haut niveau à la FFME, l'équipe nationale jeunes alpinistes (ENJA) et l'équipe de ski alpinisme, depuis cinq ans. Sa renommée est faite, les solos sont derrière lui, il a réglé ses comptes avec la montagne. « J'avais besoin de cette pratique extrême pour m'accepter, pour me sentir exister. J'avais vécu ce que je voulais vivre en montagne et je pouvais alors être généreux, partager avec mes compagnons de cordée et surtout coacher », confie-t-il.
Les années solo

L'homme en colère, comme il se décrit dans son livre SoloS, enchaine les solitaires en hiver sur les faces nord des plus démoniaques pendant huit années. Sa première sur les traces de Desmaison à l'Olan en 1989 est un coup de tête : « J'avais grimpé seul quelques fois, mais rien d'ambitieux. Comme je divisais les temps d'ascension, je commençais à réaliser que j'avais la caisse, la technique et la combativité. Ne parvenant pas à réunir une cordée pour mon projet à l'Olan, je suis parti seul avec une gourde et quelques barres de céréales, à la Benjamin Védrines ! »
Viendront vite les ascensions en solitaire de la voie Desmaison au pic de Bure, du Wolf, une goulotte au Pamir ou l'enchaînement des faces nord de la Meije et des Ailefroides, son « plus bel enchaînement », à ses yeux. « Tout ce que je cherchais, je l'avais déjà eu dans mon premier solo : la rage de sortir pour vivre, l'énergie qui continue d'affluer quand tu te sens épuisé... Mais il m'a fallu huit ans pour le comprendre », admet-il. « Ces expériences m'ont néanmoins beaucoup servi pour coacher : ce que vont certainement vivre ces jeunes, je l'ai vécu, je peux apporter des réponses à leurs doutes ».
La page des solos est tournée en 1996. Entre temps il s'est fait une place dans le prestigieux cercle des professeurs de l'ENSA : « Il était le plus sympathique des prof ingérables », tient Luc Thibal de bonne source. « Il fait partie de ces personnes qui se sont construites en rupture avec le système scolaire, pour devenir des personnalités. À l'opposé de l'allumeur de réverbère que rencontre le Petit Prince, il n'a pas pour habitude de respecter les consignes, il les interroge, il les bouscule ! On a aussi besoin de cela dans la fonction publique », sait le directeur technique national. Pourtant Christophe Moulin, qui s'est dérobé à toute étude après le bac, passe le professorat de sport en 1999, comme une revanche : « Je n'avais pas digéré le fait de ne pas avoir de diplôme postbac. Venant d'une famille assez éduquée, cela me gênait. Le guide était juste un défi pour moi, je ne l'envisageais pas comme un métier. La performance avait été mon moyen d'exister. »
L'effet Moulin
Paradoxalement, le loup solitaire des années 90 soutient mordicus la force du collectif en tant que coach. Stéphane Benoist le relèvera lors de la massive expédition FFME de 2005 au Chomo Lonzo*, qui les réunira une première fois. « Il était très attaché à la dimension collective de la mise en place. Il a eu cette remarque qui m'a fait grandir à propos de la cordée que je formais avec Patrice Glairon-Rappaz : « Vous, vous êtes une cordée naturelle. » J'ai alors pris conscience de l'importance du paramètre humain en montagne. »
Cette « cordée naturelle » rejoindra la famille des coachs du GEAN en 2005, et constate « l'effet Moulin ». « Dès l'instant où Christophe est passé sous la bannière FFCAM, le groupe Excellence a pris la lumière. Il était de fait devenu le groupe de référence », relate Stéphane Benoist, qui lui a succédé en 2019. L'entraineur met en place des méthodes de recrutement, d'entrainement, et mise sur la cohésion d'équipe avec un voyage d'intégration en début de cursus. Sous sa houlette, le groupe Excellence devient mixte* et change de nom pour obtenir cet acronyme manifeste : le GEAN : « Il avait une capacité à innover, il a notamment introduit la préparation mentale dans la formation, et la pédagogie positive, par les points forts. » Stéphane Benoist, qui baigne alors dans le haut niveau, a bénéficié de sa souplesse pour partir en expédition. Lorsqu'il revient de son ascension en face sud du Nupste au Népal (7 861 m) en 2008, pour laquelle il s'estime chanceux, Christophe Moulin lui rétorque : « Tu verras, ceux qui ont de la chance sont toujours les mêmes. » « Il faisait référence à la capacité à se préparer et à organiser les choses, qui réduit la place du hasard dans la réussite d'une expé … J'ai beaucoup appris à ses côtés. »
" En vérité, Christophe reste avec nous "
À 60 ans, il n'est pas question d'une quelconque retraite. Il encadre de l'expédition la promotion 2017-2018 du GEAN en Alaska. « Ce n'était pas l'expé de trop, j'étais encore une locomotive ! ». Ses compagnons de cordée en feront l'expérience : à l'approche du sommet du mont Huntington (3 731 m), alors pris dans la tempête, l'idée de redescendre ne l'effleure point. Il installe le bivouac pour attendre la fenêtre météo. Au bout de 30 heures tout de même, la solution de repli s'impose. Même pas mal.
« Je suis fier d'avoir aidé tous ces jeunes à se construire avec leur passion. Parmi eux, 18 sont profs à l'ENSA. Non seulement ils ont des parcours remarquables, mais ils ont aussi envie de transmettre. Ce sera peut-être le sujet d'un livre…» C'est peut-être cela qu'il faut retenir de Christophe, ce besoin de partager sa passion, en montagne comme sur les scènes des festivals. « Son humour, sa bienveillance, sa manière d'être juste, d'écouter, de transmettre… J'adore travailler avec lui », témoigne Charles van der Elst, « Mais son départ, c'est un peu une mise en disponibilité artistique ! », s'amuse le président de la fédération. On le retrouve effectivement fin décembre aux Rencontres de la première glace à Aiguilles, en janvier, il sera à l'ICE, début février sur Brise la glace à Pelvoux… Christophe va donc continuer à accompagner les jeunes de la FFCAM en tant que guide ou bénévole. « Il reviendra toujours avec un nouveau projet, sourire en coin, et une bonne blague », assure Charles van der Elst. « En vérité, Christophe Moulin, il reste avec nous. »
* Le Chomo Lonzo, une montagne massive à la frontière népalo-tibétaine, dont le pilier central culmine à 7790m, située dans le massif que constitue le Makalu, 8 485 m).
** Le Groupe excellence alpinisme dela FFCAM se déclinait à l'époque en une section féminine et une masculine.
Repères :
- Naissance à Paris en 1958
- 1962 : déménagement à Eygliers, dans les Hautes-Alpes, où il découvre les sports de montagne.
- 1977 à 1979 : obtention du bac au lycée Condorcet à Paris, période d'errance scolaire.
- 1979 : ouverture du Y de Ceillac avec F. Charton
- 1981-1983 : obtention du pisteur secouriste
- 1985 : obtention du monitorat de ski alpin et du diplôme de guide de haute montagne
- 1998-1996 : pratique du solo, de préférence en hiver
- 1985-1990 : formateur ski et alpinisme au CRET de Briançon
- 1990-1999 : professeur à l'ENSA à mi-temps puis plein-temps
- 1999 : obtention du professorat de sport
- 2000-2005 : entraîneur FFME des formations nationales alpinisme et ski alpinisme.
- 2005 : publication de son ouvrage SoloS, par les éditions Guérin
- 2006-2025 : conseiller technique national alpinisme à la FFCAM, responsable du GEAN, puis des groupes Espoir
















Alpinisme
Escalade
Canyonisme
Escalade sur glace
Les sports de neige
Slackline & Highline
Spéléologie
Sports aériens
Via ferrata